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Quand "muzukashii" signifie plus que difficile

Publié le par Hikaru

Souvenirs souvenirs : je discutais l'autre jour avec des amis, des amis japonais, et on parlait de la difficulté du français, du japonais... et bon... Si on pouvait me donner 100 euros chaque fois que j'entends un japonais me dire combien sa langue est "aimai na gengo" (ambiguë)... Je serais riche. Comment et pourquoi en sont-ils donc arrivé à une telle conclusion ? Et un langage peut-il être intrinsèquement ambigu ?

Voyons un peu ce qui se passe "in situ" :
Vous, un non japonais donc, vous trouvez à une soirée avec des japonais. Vous notez la présence d'une personne connue, vous vous approchez, engagez la conversation, et, entre autre chose finissez par demander :

- "Okusama wa? (où est votre femme?)
- Aa, kanai wa chotto... (oh, ma femme est un peu...)", répond-il en hochant la tête

Gné ? Un peu quoi ?
Et c'est là qu'un japonais va vous dire que c'est un exemple parfait d' "aimaisa" (ambiguïté) qui fait que c'est difficile pour vous de comprendre... puisque vous n'êtes pas japonais !

Cependant, devant cette vague réponse, vous ne vous démontez pas... et tentez de continuer la conversation :

- "Alors comme ça vous aimez le cinéma français. Qu'est-ce qui vous plait ?
- Mâ, suki desu ne. Nantonaku. (Ben oui, j'aime bien, en gros...)"

En gros ? Heu, oui mais comment ça en gros ?!

Mais comme vous êtes français et que vous n'allez pas vous laisser impressionner par ce genre de réponse et que vous vous dites que vous allez bien finir par en obtenir une concrète... il vous suffira de poser une question "fermée", pensez-vous, où la réponse ne peut être que "oui" ou "non"... ah, ah.. vous ne connaissez pas les japonais vous... et donc, vous finissez par poser "LA" question qui vous turlupine en fait depuis le début, mais que vous n'avez pas posé d'entrée de jeu parce que vous êtes quand même poli :

- "Bon, concernant le job dont nous avions parlé la dernière fois. Allez vous m'engager comme votre professeur de français ?
- Yâ (humm), va-t-il répondre en se grattant l'arrière de la nuque, "muzukashii desu ne. (C'est difficile, je pense)."

Qu'est-ce qui est difficile ? Le français ? De répondre ? Quoi ?
Et vous voilà complètement dans le "gorimuchû" (le brouillard), vous haussez les épaules en signe de désespoir et avec un petit sourire en coin, toujours utile pour se sortir de situations difficile (justement), vous vous ruez sur le buffet histoire de s'envoyer un petit kappamaki (vous savez ces petits rouleaux de riz rempli de concombre avec une feuille de nori autour... ^^" ) avec un peu de sake, pourquoi pas, histoire d'oublier tout ça.

Et là, bon nombre de japonais à qui vous raconteriez votre mésaventure vous diraient que vous vous êtes trouvé face à une variété d'ambiguïté typique des "garden-party". Où aucun japonais ne voudrait s'impliquer en expliquant pourquoi sa femme n'est pas venue, qu'il aime le cinéma français sans vraiment pouvoir dire pourquoi, et que "muzukashii" ne signifie pas, ici, "difficile" mais simplement : "même pas en rêve, mon ami !".

Quoiqu'il en soit, rien dans les exemples ci-dessus n'indique que la langue est ambiguë, mais plutôt que ceux qui l'utilise, le sont.
Et là encore, j'ai souvent entendu dire, que les japonais partageais entre eux le "ishin denshin" qu'on pourrait traduire par une sorte de communication télépathique. Un clin d'oeil par-ci, un sourire par là, une petite moue encore ici, et vous avez toutes les informations qu'il vous faut pour pouvoir écrire "Guerre et Paix".
Mais soyons réaliste, cela est valable pour un grand nombre de cultures et de langues non ?

Cependant ce qui va peut-être différencier les japonais de la plupart des occidentaux, c'est leur capacité à rester silencieux et posé. Il n'est pas rare que ceux-ci préfèrent rester "timide" plutôt que d'exprimer de façon véhémente ce qu'ils aiment ou ce qu'ils n'aiment pas, surtout s'ils pensent que cela peut offenser la personne à qui ils s'adressent.
Plutôt que de vous dire que vous n'êtes pas engagé comme prof de français, la personne utilisera "muzukashii" afin d'adoucir sa réponse.

Donc, même si je ne parle pas japonais couramment, je ne pense pas que le japonais soit une langue ambiguë. En tout cas pas plus que le français ou l'anglais. A partir du moment où deux personnes s'entendent bien, aucune importance si les mots échangés semblent vagues ou imprécis, ils communiquent sur un plan totalement différent. Si nous autres, occidentaux ne comprenons pas le sens, ce ne doit pas être forcément parce que la langue est ambiguë mais plutôt parce que nous ne sommes pas familier avec les us et coutumes locales, où l' "enryo" (la retenue) et le "kikubari" (empathie) sont considérée comme des vertues nationale.
Pas de doute que le gars de la soirée parlait de façon "ambiguë" pour de bonnes raisons. Que vous puissiez les deviner ne dépend pas vraiment de vos connaissances linguistiques mais plutôt de la façon dont vous êtes capable de comprendre la culture, la personnalité et la psychologie de votre interlocuteur.

Tout ça bien sûr, je ne l'ai pas inventé, ça m'a été expliqué, et j'ai pas mal discuté de la chose avec, entre autre, une de mes amies japonaise répondant au doux prénom de Aï, qui signifie rien moins qu'Amour...

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